Dans un contexte chaotique, la pub en ligne fait face à des enjeux cruciaux alors même que les annonceurs, lassés de trop engrosser le mammouth programmatique, haussent le ton et demandent l’extension de la loi Sapin à la pub digitale. Il est temps de faire un état des lieux sur les coulisses de la pub, du programmatique et des médias…
Programmatique : tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien tandis que les autres croient savoir by Fabrice Leclerc
Une téléportation au siècle de la data, celui de la fausse transparence de la connaissance, ne dépayserait pas Socrate. Quelques semaines de ses enseignements publics nous feraient même carrément du bien. Malheureusement, déjà dépourvus d’autodérision, les médias et la pub ont besoin de questionnement et non plus de leurs fausses certitudes, finalement trop incertaines pour être assumées par ceux qui profitent du grand méchant leurre. Avec la mutation de deux industries en pleine réinvention et la transformation digitale générale de notre société, le marché cherche encore à vraiment comprendre ce qui lui arrive. La perte de ses repères modifie tout mais conforte un seul postulat : l’homme reste un fou pour l’homme.
Brexit, Trump, sondages en folies, un président qui, pour une fois, reconnait ses échecs avant les suffrages : le monde devient-il fou ou évolue-t-il trop vite pour que nous puissions intégrer chaque étape pour en faire des atouts décisionnels ? En média aussi nous perdons tous nos repères et cela va en s’accélérant avec les évolutions technologiques. Des annonceurs de la distribution scandalisés par l’existence de “rebates“, des agences se plaignant de manque de transparence et devenant des régies, le monde de la stratégie achetant des acteurs média, l’automation et l’intelligence artificielle présentés comme l’avenir des médias mais avec un contrôle de l’homme : décidément il est loin, très loin, le temps où le skyscraper était une révolution dans les formats. Dans ce contexte chaotique, la pub en ligne fait face à des enjeux cruciaux alors même que les annonceurs, lassés de trop engrosser le mammouth programmatique, haussent le ton. Ils demandent l’extension de la loi Sapin à la pub digitale.
Comme avec l’informatique dans ses débuts, les experts proclamés de la programmatique prennent un malin plaisir à compliquer la sémantique et à rendre très difficile toute vulgarisation. Même contraint de s’y mettre, le marché publicitaire reste donc globalement dans le flou. Les annonceurs sont encore dans la révolution du tout digital. Ils doivent non seulement intégrer les changements au sein de leurs propres organisations, mais aussi implémenter les moyens qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs. Pour cela, mieux comprendre l’achat de la programmatique et l’ensemble de ses subtilités est une condition sine qua non.
La programmatique : un eldorado mal organisé
La programmatique est encore un eldorado mal organisé. Il est complexifié par une accumulation d’acteurs proposant sans cesse de nouvelles solutions en ajoutant des sur-couches technologiques. Même s’ils comprennent les notions principales et le schéma global au sein de leurs problématiques (datas, DMP, SSP, DSP…), les annonceurs sont donc encore très loin d’une maîtrise totale de l’outil programmatique. Ils ne savent pas vraiment nécessairement quand et comment l’utiliser et donc encore moins comment l’intégrer dans la créativité. De plus, ajouter de la techno à la techno a un coût qui se répercute sur le volume d’achat final et crée également et paradoxalement, une perte de valeur pour les éditeurs.
Le problème des agences, c’est qu’elles sont justement le reflet de l’offre mais surtout des besoins et demandes des annonceurs. Obtenir les données essentielles à la conception des campagnes publicitaires fructueuses reste encore un parcours du combattant pour les têtes pensantes créatives des agences de taille diverse. Le cloisonnement entre les marques, les agences médias et les créatifs empêche les trois acteurs principaux du marché d’exploiter au mieux ces si précieuses données qu’ils ne partagent pas. Ou mal.
Dans le même temps depuis deux ans le “Rich Media” renforce le poids des promesses de la programmatique sur le marché de la pub online . Et malgré le flou, cette dernière continue de fourbir ses armes. Trois chiffres révélés récemment par une étude Quantcast/EBG assurent que 67% des annonceurs et agences l’utilisent pour leurs achats display online; que 79% se déclarent satisfaits de leurs campagnes et que 69% l’utilisent désormais dans un objectif de branding.
Sur la jetée cannoise pendant la Grand-messe publicitaire des Lions, les nouveaux riches de l’Ad Tech ont remplacé les anciens nantis du contenu. Le message est ostentatoire : bienvenue dans la pub digitale et programmatique du futur. Les médias et les agences doivent-ils en avoir peur ? La question peut paraître gratuitement angoissante mais elle ne fait qu’interroger sur les dangers de l’ultra-concentration d’un marché dont seront bien trop dépendants les éditeurs d’ici à cinq ans. Il faut, comme l’a fait le patron de Smart Ad Server dans INfluencia, dire clairement les choses : sans régulation politique ni prise de conscience urgente des éditeurs, le spectre d’un Big brother de la programmatique pèsera comme une épée de Damoclès sur les têtes des médias.
Pour les régies de pub TV, la menace Facebook et Google pointe aussi à l’horizon. La poussée du trading desk dans les agences accroît la pression sur les régies pour répondre à une nouvelle demande. La programmatique dans la TV linéaire, c’est pour demain. Le défi est de taille : la nouvelle offre doit permettre aux régies de créer le package obligatoire des expériences digitales et linéaires capables de façonner un dispositif global réunissant toutes les ventes. Jusque-là elles se faisaient en silos.
Bref, le digital est le territoire des génies où chacun dans son domaine est un expert qui détient LA vérité. On parle, on se montre, on se gausse des échecs des autres, on vante les mérites des vainqueurs, on valide après coup. Mais finalement qui est sûr de quoi ? En réalité, chacun prêche pour sa paroisse en précisant, au nom du bien commun, que les autres sont dans l’erreur. Nous n’avons rien à envier aux religions. Nous n’inventons rien, nous nous adaptons en bombant le torse. L’homme est homme et le restera. C’est bien notre seule certitude.